Les girls d'Edna O'Brien (2024)

Rentrée littéraire

Par Marie Richeux

Publié le

4 min

La romancière Edna O'Brien, 88 ans, nous a reçus chez elle à Londres, alors que paraît son dernier roman, "Girl", un roman majeur où elle s’empare d’une actualité tragique et se glisse dans la peau d'une jeune Nigériane enlevée par Boko Haram. Avant-goût de cet entretien exclusif.

Grande figure de la littérature irlandaise contemporaine, Edna O'Brien publie en cette rentrée 2019 un nouveau roman remarqué, Girl**, où elle se glisse dans la peau d’une jeune Nigériane enlevée par Boko Haram, ce qui a donné l'occasion à Marie Richeux d'aller s'entretenir en exclusivité avec la romancière. Un entretien d'une heure qui sera** diffusé mardi 5 novembre à 21h dans "Par les temps qui courent", dans lequel elle a expliqué comment, pour écrire Girl, elle avait dû se débarrasser de tout ce qui l’habitait habituellement dans l’écriture, mais aussi que la voix de son personnage Maryam pouvait la réveiller la nuit et son texte agir comme une récitation un peu folle, intérieure, obsédante. Récit d'une visite sous influences, par Marie Richeux.

Edna O’Brien loue une maison depuis trente cinq ans dans le quartier de South Kensington à Londres. On y vend tout ce que la mode mondialisée fait de chic et cher. Autant dire qu’une fois passée la porte de cette grande écrivaine, on entre dans un autre espace-temps. Dans la cuisine, Samuel Beckett nous fixe de ses yeux d’aigle. Sur la table du salon gisent quelques petites enveloppes de papier, adresses et noms manuscrits, reçues le matin même.

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Certaine de ne plus savoir préparer de café, elle est sortie tout à l’heure, attraper trois gobelets pour nous accueillir. C’est à l’étage que nous ferons l’entretien, au beau milieu des livres et des coussins en velours élimé.

C’est tout l’intérêt de parler ici un peu du décor. Il est évident que sa vie consacrée à l’écriture - dont elle rappelle au tout début de notre conversation que c’est un acte si solitaire et si précaire – est une vie consacrée à la lecture. Le visage de Philip Roth en noir et blanc sur la couverture d’un livre, Rimbaud, Joyce, Racine, Homère, attrapent nos yeux qui traînent, autant que les rondes joues de son petit-fils.

Entretien avec Edna O'Brien (extrait)

3 min

Son dernier grand livre Girl, paru simultanément en France chez Sabine Wespieser Editeur et en Angleterre chez Faber & Faber, donne voix à une jeune fille enlevée, séquestrée et violentée par les djihadistes de Boko Haram au Nigéria. Le livre commence par cette phrase bouleversante "J’étais une fille autrefois, c’est fini".

Edna O’Brien n’est plus une fillette. Ni une fille. Ni une jeune fille. Mais on peut suivre ce mot "girl" dans le titre de livres importants de son parcours. _The Country girls (Les filles de la campagne), trilogie qui fit sa renommée et lui causa bien des ennuis pour la liberté de corps et d’esprit qu’elle offrait à ses deux héroïnes de l’Irlande rurale et catholique. Ses mémoires, C_ountry girl, (Fille de la campagne): elle s'y raconte cette fois au singulier, de sa féroce enfance irlandaise à son accomplissem*nt de femme de lettres reconnue et traduite mondialement. Enfin, sur la couverture de ce dernier livre paru, Girl. Comme si, les années passant, il s’était agi d’aller à l’os, retirant lettres après lettres pour ne conserver que ce mot-là: fille, pour la force, la résistance, un mot qui pèse bien des poids: la filiation, la violence au corps, la sexualité, l’enfantement…

Les girls d'Edna O'Brien (3)

Les girls d'Edna O'Brien (4)

La girl de ce dernier roman est certes une de celles dont on a appelé le retour par la campagne mondiale "Bring back our girls" au moment de l’enlèvement de 276 lycéennes nigérianes en 2014 (116 sont toujours portées disparues) mais c’est aussi une fille sans âge et sans époque, une fille du mythe, archétypale, tout comme l'est la violence dont tente de s’approcher, de livres en livres et sans trembler, Edna O’Brien.

Lorsque je lui demande justement ce qu’elle a ressenti en écrivant les scènes les plus dures de Girl, des viols, une lapidation… elle me répond qu’il suffit au poète d’entrevoir la violence, tout est ensuite acte d’imagination et ce n’est pas là la moindre des choses. La plus vertigineuse, peut-être. Elle raconte qu'écrire ce livre fut comme n'en avoir jamais écrit auparavant. La voix de son personnage Maryam pouvait la réveiller la nuit et son texte agir comme une récitation un peu folle, intérieure, obsédante.

«On m’a demandé pourquoi moi, une irlandaise, j’ai choisi d’écrire sur cette fille nigériane? Ma réponse est: parce que j’aime les Grecs, j’aime le drame et la tragédie grecque, j’avais envie d’écrire une histoire, qui même si j’y suis complètement extérieure, me permet de saisir cette émotion sans âge, antique, que tout humain rencontre dans une crise comme celle qu’ont traversé les lycéennes enlevées par Boko Haram»

Pendant l’heure de conversation qu’elle nous a accordée, elle vérifiait en permanence que l’interprète Marguerite Capelle arrivait à la traduction exacte de ce qu’elle avait en tête, au mot près. Elle rythmait sa parole en semblant battre la mesure de sa main. Elle paraissait presque sculpter ce qu’elle disait dans la lumière automnale de cette bibliothèque et, je ne l’ai pas signalé, proche d’un feu de cheminée dont je n’ai pas su - jusqu’à la fin - s’il était réel ou complètement fictif. Sourire.

Je me suis souvenue qu’elle avait dicté ses récents textes à des secrétaires, connaissances de longue date, et qu’elle était peut-être en train de nous parler comme elle écrit, c’est-à-dire à la virgule près, et dans le souci de chaque respiration.

Le livre d’Edna O’Brien figure sur les dernières listes du Prix Femina, et nous sommes heureux de partager avec vous son seul entretien avec une radio française, le 5 novembre prochain, à 21h dans Par les temps qui courent. Ensuite en ligne, pour l’éternité… !

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Les girls d'Edna O'Brien (2024)

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