Edna O’Brien : "Un livre pour tenter de saisir l'émotion première de ces filles capturées par Boko Haram" (2024)

Edna O’Brien vient d’obtenir le Prix Femina spécial pour l’ensemble de son œuvre. S’il lui est décerné au moment de la parution de Girl, son dernier roman paru en français chez Sabine Wespieser éditeur, il veut couronner l’ensemble d’une vie littéraire traduite de par le monde et débutée en Irlande, dans les années 1960 avec la trilogie Les Filles de la campagne. Une œuvre déjà saluée en 2018 par le PEN/Nabokov Award.
Il y a quelques jours, elle nous recevait dans la maison londonienne qu’elle loue depuis 35 ans. Vite oubliées les vitrines de luxe du quartier, lorsque nous passons la porte de cette grande écrivaine, c’est un autre espace-temps qui s’ouvre. Dans la cuisine, Samuel Beckett nous fixe de ses yeux d’aigle et à l’étage, dans la grande bibliothèque qui accueille notre conversation, nos yeux attrapent les noms de Joyce, Rimbaud, Conrad, Faulkner, Homère sur les couvertures et les étagères, tandis que le visage de Philip Roth, ami regretté, veille sur les coussins de velours élimés.
Girl porte la voix sans âge d’une jeune fille nigériane enlevée, violée et retenue captive par les terroristes de Boko Haram. Une voix de douleur et de résistance. Une voix de lumière au milieu du chaos et de la violence. Une voix de fille et de jeune mère, un roman à la puissance inouïe, traduit par Aude de Saint-Loup et Pierre-Emmanuel Dauzat, qui commence par cette phrase bouleversante: "J’étais une fille autrefois, c’est fini".

Extraits de l'entretien

"Girl, pour moi, c'était et c'est toujours un territoire nouveau, une nouvelle géographie, un choc nouveau, et c'était plus perturbant que tout ce que j'avais pu faire auparavant."

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"Je suis allée au Nigéria deux fois, j'ai fait deux longs voyages et j'ai rencontré des dizaines de filles. Certaines avaient échappé à Boko Haram, certaines étaient amies, sœurs, mères... J'ai rencontré aussi beaucoup de personnes qui travaillaient dans les organisations qui essayaient de s'occuper d'elles: l'Unicef, des ONG, des médecins, des médecins spécialistes du traumatisme, et aussi des villageois. Et donc j'avais une espèce de canevas très vaste, un sac plein de carnet de notes. Mais j'avais le sentiment que pour raconter cette histoire, il me fallait une seule voix, pour que ce soit crédible, pour que ce soit authentique. Et donc j'avais besoin de puiser dans son histoire à elle et de faire un collage de ces voix."

"Je veux insister sur le fait que c'est une œuvre de l'imaginaire. C'est une œuvre de fiction. On m'a posé des questions: pourquoi moi, irlandaise, j'avais choisi d'écrire sur cette fille nigériane? Ma réponse, c'est que j'aime les Grecs. J'aime le drame, la tragédie grecque. Et j'avais envie d'écrire une histoire dans laquelle, même si j'y ai été complètement extérieure, j'espérais essayer de saisir cette émotion primitive, primaire que tout personnage, toute fille, tout homme également, rencontre dans une crise comme celle qu'ont dû affronter ces filles de Boko Haram."

"Un écrivain n'a besoin que d'entrapercevoir la violence - ou la beauté, d'ailleurs -, pour l'absorber et pour en restituer une histoire qui soit plus longue, et qui soit aussi perturbante. [...] Quand j'écris sur la violence, je ne veux pas que ce soit dans un style de série B. Je veux que ce soit cru, que ce soit féroce, mais aussi ironiquement, qu'il y ait une forme de poésie là-dedans."

"Souvent les féministes m'accusent de n'écrire que des personnages de femmes victimes. En tout cas, c'est une accusation qu'on m'a déjà faite. Et je suis heureuse de voir dans des critiques plus récentes de mon livre, notamment aux États-Unis, que les critiques commencent à remarquer, justement, que mes personnages ne sont pas des personnages de victimes, mais des femmes qui, malgré un passé douloureux, s'en sortent en combattant. Et il y a différentes manières de se battre."

"Les deux livres que j'ai le plus relus au moment où j'écrivais Girl, c'était Au coeur des ténèbres de Joseph Conrad, pour cette sensation de l'Afrique, d'un pays africain, ce mystère, cette obscurité et ce sentiment d'infini. Et aussi En attendant les barbares de J. M. Coetzee."

Lectures

Edna O’Brien, Girl (Sabine Wespieser éditions)

Edna O’Brien, Fille de la campagne (Sabine Wespieser éditions)

Archive

William Faulkner, RTF, 1955

Références musicales

Bessie Griffin, Sometimes I feel like a motherless child

Louis Sclavis Quartet, La dame de Martigues

Limouse, The Reindeer

Vincent Courtois, Sensuel et perdu

Nina Simone,Ain’t got no, I got life

Prise de son

Georges Tho

Edna O’Brien : "Un livre pour tenter de saisir l'émotion première de ces filles capturées par Boko Haram" (2024)

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